Nourrir l'humanité
Charles Culot, fils d'agriculteur, comédien et un des auteurs de la pièce de théâtre militante Nourrir l'Humanité (actes i et II). © Philippe Lavandy.

Charles Culot : « La crise agricole, c’est aussi celle du capitalisme »

Charles Culot est comédien et un des auteurs de la formidable pièce de théâtre Nourrir l’Humanité c’est un métier (actes I et II) , de la Compagnie Adoc. Ce jeune homme est aussi issu du monde agricole puisqu’il est fils et frère d’agriculteurs. Ses parents sont à la tête de la Bergerie de l’Isbelle, du nom d’un ruisseau qui prend sa source à Laidprangeleux, dans l’entité de Rendeux (Luxembourg), là où il a grandi. Portrait.

Sang-Sang Wu, journaliste | sang-sang@tchak.be


Pour écrire ce portrait de Charles Culot, nous avons choisi d’écrire son histoire sous la forme d’une pièce de théâtre, afin de mettre mieux en lumière son parcours.

« Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent,
C’est le prophète saint prosterné devant l’arche,
C’est le travailleur, pâtre, ouvrier, patriarche 
Ceux dont le cœur est bon, ceux dont les jours sont pleins 
Ceux-là vivent, Seigneur ! Les autres, je les plains.
Car de son vague ennui le néant les enivre,
Car le plus lourd fardeau, c’est d’exister sans vivre. »

Issu du recueil de poèmes « Les Châtiments » de Victor Hugo.

ACTE I : Semer

Scène 1

Le jeune Charles est assis par terre, dans une cour de ferme bâtie en pierre et en moellons de grès, au pied d’un panneau fléché indiquant « Bergerie de l’Isbelle. Fromages fermiers ». Autour de lui, des hectares de pâturages entourent la forêt du hameau de Laidprangeleux, sur les hauteurs de la vallée de l’Ourthe, en Ardenne. Charles joue distraitement avec de la paille, le regard posé sur la campagne luxembourgeoise qu’il connaît par cœur. L’adolescent se projette souvent ailleurs, loin des tracteurs et des brebis de ses parents, Danièle et André.

Charles : J’ai un peu honte de le penser, mais faire la ferme, ça ne m’intéresse pas. Moi, ce que je voudrais, c’est voyager partout dans le monde pour voir autre chose ! Tu comprends ?

Son double : On ne veut pas toujours faire le travail de ses parents… Surtout quand on les a vus bosser aussi dur et ne jamais prendre de vacances. Mais en même temps, c’est ça, être agriculteur. Ça fait partie des contraintes du métier. 

Charles : Eh bien, moi, ça me donne pas envie. 

Son double : Tu as beaucoup de chance, tu sais : ta maman et ton papa ne te jugeront jamais, quoi que tu décides de faire plus tard. Ils t’aiment d’un amour sincère et bienveillant. Je suis sûr qu’ils t’encourageront toujours et qu’ils ne te mettront jamais la pression pour reprendre. De toute façon, quand on force quelqu’un à faire quelque chose, ça ne marche pas. 

Charles : Et puis, on dirait déjà que Sylvain est tenté de continuer la bergerie.

Au loin, on entend une voix féminine qui s’élève. Elle résonne et fait écho dans la ferme : « Jean-Guillaume, Charles, Julie, Céline, Sylvain ! Vous venez ? »

Charles : Ah, c’est maman qui appelle pour qu’on vienne l’aider. Aujourd’hui, c’est mon tour d’aller traire les brebis, de leur donner à manger et de nettoyer la salle de traite. J’ai échangé mon jour avec Julie. Jeudi, j’ai une compét’…

Ce portrait a été publié dans le 10° numéro de Tchak (été 2022)

Scène 2

L’adolescent est sur la piste du Royal Cercle d’Athlétisme de Spa, section Manhay. Il reprend son souffle tout en regardant les autres athlètes qui viennent rapidement le saluer pour sa prestation. Un nouveau record personnel qui le propulse en tête du classement, aux côtés des frères Borlée. Un haut parleur hurle : « Charles Culot, champion de Wallonie en 400 mètres et en 400 mètres haies ». 

Charles : C’était mon dernier tour de piste. À partir de demain, j’arrête. 

Sa maman : Ah bon, pourquoi ? Tu sembles très doué pourtant. T’as fait le tour de piste en seulement 50 secondes, tu t’entraînes comme un fou depuis tes 12 ans. 

Charles : Oui, je sais. Mais ça ne m’intéresse plus de consacrer tout mon temps à l’athlétisme, tout ça pour gagner quelques dixièmes de seconde. Ça n’a plus de sens pour moi. 

Sa maman : Les compétitions aux quatre coins de la Belgique, ça ne va pas te manquer ? 

Charles : Non, j’ai envie de passer à autre chose, vraiment. Et puis, tu sais que l’athlétisme, c’est pas un sport qui permet de vivre. Faut être à un niveau olympique et encore… Même là, ça reste très difficile. À la limite, faut décrocher des contrats avec des marques et tout. C’est pas parce que t’es champion de Belgique que ça peut aller. C’est un sport de pauvre.

Sa maman : C’est toi qui décide, mon chéri. 

Charles : En plus, depuis que l’option sport n’existe plus à Marche, j’ai envie de me consacrer au théâtre. C’est une option que j’aime bien, finalement. Tu prends mes pointes, maman ?

Scène 3

Charles sort du gigantesque bâtiment de l’Institut Saint-Laurent de Marche-en-Famenne. Une houppette dorée sur le crâne, il est habillé d’un pull bleu ciel et d’un bermuda bouffant. Il use la pelouse et fait les 400 pas sous l’arbre centenaire. Il est visiblement très excité et ne tient pas en place. 

Charles : Et si je devenais acteur ?

Son double : Genre, pour de vrai ? T’es dingue, c’est pas ton milieu. 

Charles : Les parents sont derrière moi, je suis jeune, autant en profiter, non ? C’est maintenant ou jamais ! 

Son double : Faut redescendre de ton nuage, c’était qu’une petite pièce de rhéto, cette fiction sur l’univers de Tintin. Alors oui, tu as eu un bon rôle et les gens ont eu l’air d’apprécier mais bon, faut pas exagérer non plus… 

Charles : Monsieur Toussaint, le prof de l’option théâtre, a dit que j’avais un vrai talent de comédien. Y avait plein de monde, c’est super grisant cette sensation, quand t’es sur scène !

Son double : Ouais, c’est la pression qui retombe, les endorphines tout ça… Mais tu te montes le bourrichon tout seul là, comme ces gens de province qui débarquent à Paris parce qu’un petit spectacle a bien marché dans leur patelin.

Charles : Mais j’ai envie qu’on me voie, qu’on me regarde. Je veux briller et exister, moi !

Acte II – Arroser

Scène 1

Charles déambule dans les couloirs couloirs de l’Ecole Supérieure d’Acteurs du Conservatoire Royal de Liège. Le jeune homme de 17 ans s’arrête sur les trois portraits qui surplombent la cafétéria. Y trônent ceux de Constantin Stanislavski, d’Antonin Artaud et de Bertolt Brecht. Sous chaque photo, une citation. Charles prend une voix exagérément théâtrale et les lit à voix haute :

  • « Aimez l’art en vous-même et non vous-même dans l’art ! » 
  • « Tout ce qui est dans l’amour, dans le crime, dans la guerre ou dans la folie, il faut que le théâtre nous le rende, s’il veut retrouver sa nécessité ! » 
  • « Vous êtes venus faire du théâtre, mais maintenant, une question : pour quoi faire ? » 

Charles : C’est vrai ça : pourquoi est-ce que je veux faire du théâtre ? Et c’est qui ça… Bertolt Brecht ?

Il sort son téléphone de sa poche et dodeline de la tête. 

Son double : Wikipédia dit qu’il est né le 10 février 1898 à Augsbourg, en Bavière, et qu’il est mort le 14 août 1956 à Berlin-Est, en RDA. C’est visiblement un dramaturge, un metteur en scène, un écrivain et un poète allemand. Enfin, c’était. Il est écrit qu’il a vécu en exil en Scandinavie et aux États-Unis pendant la période nazie. Il a même été inquiété au moment du maccarthysme.

Charles : Hmmm… Ouais. Je comprends pas grand-chose à tout ça, mais il a raison : c’est vachement important de se poser la question « Pour quoi faire du théâtre ? » 

Son double : Je me rappelle avoir lu sur le site de l’école un truc qui disait, en gros, que c’était important de former des acteurs parce qu’on est dans une crise culturelle où l’humain est rétréci. Ça parlait aussi de corps, de voix, d’amour de la langue, de tête, de cœur, de tripes, de poumons, de chair, de sang et même de sexe ! 

Charles : Intéressant. Allons méditer là-dessus… 

Scène 2

La scène s’ouvre sur un campement de chapiteaux et de camions sur le site déserté d’Arcelor Mittal de Tilleur, à côté de Liège. Entre les hauts fourneaux et les cokeries, les choristes ont pris place en rang serré. C’est l’effervescence, il plane dans l’air un parfum doux-amer de révolution. Soudain, un mégaphone amplifie une voix qui dit :

« À l’heure où l’Europe endure les politiques d’austérité, à l’heure où le pouvoir politique est plus impuissant que jamais face au pouvoir financier et où ce sont les populations qui sont prises en otages, des voix s’élèvent pour dénoncer le fatalisme d’une crise qu’on veut nous présenter comme inévitable. Parmi ces voix, l’art et le théâtre, en particulier, ont leur place à prendre. Ils ont cette capacité de questionner radicalement nos sociétés, de rendre sensible pour un large public, tant les injustices que les raisons d’espérer, d’agir. »

Charles : C’était une super idée, ce chœur populaire ! Voir ces cent personnes chanter toutes ensemble, ça m’a donné des frissons. J’espère que ça a réchauffé le cœur des gens, et pas que celui des métallos. Parce que bien d’autres subissent cette foutue crise économique et les politiques d’austérité qu’on veut nous faire avaler.

Patrick Bebi : Oui, c’était important pour moi d’intégrer ce chœur dans le spectacle. C’était une pratique courante dans le théâtre populaire et militant dès les années 1920. C’est ça qui donne au spectacle toute sa force épique. 

Charles : D’où viennent ces choristes, au juste ? 

Patrick Bebi : Eh bien, d’un peu partout : il y avait des membres de troupes de théâtre et de chorales amateur, mais aussi des militants syndicaux et du milieu associatif… Ensemble, on a fait tout un travail de chant. Ça a donné une assise populaire à « Grève 60 », c’est vraiment ce qu’il fallait. 

Charles : Et au fait, ça vous est venu comment, cette idée de spectacle sur la grève générale de l’hiver 60-61 ? 

Patrick Bebi : Ben, ça remonte à juin 2010, quand j’ai proposé à mes collègues de me lancer dans un projet de théâtre documentaire sur ce sujet. Je voulais interroger la question ouvrière parce que je trouve qu’à l’école, on n’en parle pas. L’idée était de se plonger dans une page importante de l’histoire sociale de ce pays, tu vois ? 

Charles : Ouais, carrément. Moi, avant d’arriver au Conservatoire, j’avais aucune conscience qu’il y avait encore des luttes de classe. J’étais un peu comme tous les jeunes, même si j’avais fait mes secondaires dans une école dite d’« élite ». J’ai pas eu une seule heure de cours sur les mouvements ouvriers, la lutte sociale, la naissance de la sécurité sociale et tout ça. Ce qui est dingue, c’est que tout le monde croit que c’est acquis et que ça tombe du ciel. En cours d’histoire, on voit l’Antiquité, la Deuxième guerre mondiale, la création de l’Europe et c’est fini. On se dit que c’est grâce au capitalisme qu’on a tout le confort aujourd’hui, mais c’est faux ! C’est pas l’aspirateur qui nous donne du bien-être, c’est la lutte et les mouvements sociaux des cent dernières années qui ont permis de nourrir tout le monde et d’avoir une démocratie. C’est parce qu’on a réussi à prendre de l’argent aux capitalistes pour le redistribuer et le partager… 

Patrick Bebi : Tu as raison. Et comme théâtre et histoire vont souvent de pair, l’occasion était donc belle de s’intéresser à l’histoire sociale, qui est intimement liée à l’histoire politique. Mais je voulais aussi laisser une place à l’esthétique théâtrale, c’est important dans votre cursus pédagogique. En gros, j’ai voulu faire du théâtre documentaire. 

Charles : Et j’ai aussi adoré le sous-titre de votre grande fresque historique en quarante tableaux : « Ce n’est pas parce qu’on n’a plus de beurre que l’on en a oublié le goût ». 

Patrick Bebi : En fait, c’est en feuilletant la biographie de référence sur André Renard, un des leaders du mouvement gréviste, que par hasard, mes yeux sont tombés sur cette phrase de Renard au sujet du beurre. Je me souviens, cette phrase m’a marqué et je me suis dit qu’il fallait qu’elle soit là, quelque part dans le spectacle. C’était pendant une formation donnée par Johnny Coopmans, à l’université d’été de l’Institut d’Études Marxistes… Car moi aussi, je devais me remettre à niveau sur l’histoire sociale belge, avant de vous parler de ce projet à vous, les jeunes.

Charles : Je me rappelle : je n’y connaissais rien ! J’avais aucune idée de ce qu’il s’était passé en 60, quand cinq semaines de grève ont immobilisé la Belgique. C’est grâce à ce spectacle que j’ai appris qu’il y avait eu un projet de Loi unique de Gaston Eyskens qui reculait l’âge des pensions, qui augmentait l’impôt et qui rognait les allocations de chômage. C’est dingue comme les ouvriers, wallons et flamands, se sont soulevés pour défendre leurs droits ! Ça fait rêver… 

Patrick Bebi : Justement, pour vous faire rêver et vraiment incarner ces grévistes, il fallait que je trouve un moyen de créer un lien concret entre le passé et vous les jeunes, qui n’avez pas connu cette époque. J’imaginais bien que pour vous, creuser une époque vieille de cinquante ans était une chose purement abstraite. À ce stade-là, cinquante, cent ou deux cents ans, c’est la même chose ! Du coup, j’ai voulu que vous rencontriez des personnes plus âgées qui, elles, avaient eu un lien concret avec les évènements ou mieux, qui avaient été des témoins directs. Ça a permis à des livres et à de vieilles photos de prendre chair, de prendre visage, de prendre vie, tout simplement.  

Charles : Carrément ! J’ai d’abord lu, mais très vite j’ai rencontré des vétérans, de vieux messieurs qui y étaient. Ça m’a fait prendre conscience que quand un million de travailleurs se réunissent et s’organisent dans les rues, ça peut faire tomber des gouvernements et changer les choses !

Nourrir l'humanité

Scène 3

Charles, la guitare en bandoulière, est sur un piquet de grève. Des drapeaux rouges et blancs de la FGTB flottent fièrement dans le ciel. Les syndicalistes ouvriers bloquent des routes et font barrage pour lutter contre la baisse des salaires et la fermeture des usines d’Arcelor Mittal. 

Charles : On me demande ce que je fous là, mais pour moi, agriculteurs et métallos : même combat ! J’étais à Ciney, quand y a eu la crise du lait. J’ai participé à des happenings nocturnes. Aujourd’hui, je suis ici parce qu’il faut montrer qu’on est là ! 

Son double : Ben ouais, c’est le même désespoir et la même exploitation. Les uns dans les champs, les autres dans les usines. Et encore, quand on leur permet encore de bosser. 

Charles : La crise agricole, c’est aussi une crise plus large. Celle des inégalités sociales, de la domination du capitalisme qui touche tous les pans de la société. Et qui maintient le système tel qu’il est. 

Son double : C’est l’intérêt collectif versus l’intérêt d’une poignée de personnes minoritaires…  

Charles : C’est dingue de voir qu’en agriculture comme ailleurs, les gens sont enfermés dans un modèle que la politique leur a imposé. Ici, c’est un modèle d’agrandissement et de surendettement dans lequel ils ne s’en sortent pas. C’est pour ça que j’ai voulu consacrer mon TFE à ces personnes qui ont choisi pour métier, de nourrir l’humanité.

ACTE III : Récolter

Scène 1

Charles Culot et Valérie Gimenez sont attablés à la cuisine. Des images vidéo d’agriculteurs défilent sur un grand écran installé sur scène. Les gens parlent vrai, avec leur accent et leurs tics de langage naturels. Les deux acteurs reproduisent des dialogues et des témoignages d’agriculteurs, en imitant respectueusement leur intonation, leur posture et les silences qui en disent long. 

Charles : À l’époque, fallait faire éclore cette réalité, les gens ne savaient pas. 

Alexis Garcia : Oui, je pense qu’on a fait du bien, on devait être les porte-voix de ces gens à qui on ne passe pas la parole, d’ordinaire.

Charles : On peut être fiers, quand même ! La pièce a tourné pendant presque dix ans, elle a fait 400 dates, on a rencontré une cinquantaine de familles d’agriculteurs, pour récolter leur témoignage et le restituer sur scène. 

Alexis Garcia : Mais depuis le premier opus, le paysage agricole a changé. Bon, faut pas se leurrer, le modèle intensif est toujours bien présent, mais y a quand même de plus en plus de personnes qui retournent à la terre et font le choix de produire autrement. Comme ton grand frère, par exemple… 

Charles : Ouais, c’est vrai. Et si on repartait sur les routes pour retrouver les personnes qu’on a rencontrées en 2011 ? Et recueillir de nouveaux témoignages sur les nima[1] et les autres ? 

Alexis Garcia : C’est vrai que ça collerait plus à la réalité d’aujourd’hui. Et ce serait intéressant d’aller voir ce que les anciens sont devenus… 

Charles : À l’époque, on a dressé un constat assez méconnu. Ici, l’idée, ce serait de parler des enjeux actuels, genre les reprises de fermes, l’accès à la terre, la PAC qui finance toujours les plus gros, les enjeux climatiques, sociaux et ruraux. Faut vraiment susciter des vocations car on en a besoin : l’agriculture, c’est la pierre angulaire de la société. 

Alexis Garcia : Nourrir l’Humanité… Acte II ?

Charles : Nourrir l’Humanité, acte II !

Scène 2

Charles est dans le canapé rouge de son appartement liégeois. Il est au téléphone. Il semble hésitant, flatté, promet de rappeler son interlocuteur bientôt pour le tenir informé.  

Charles : C’est la deuxième fois qu’on me propose une place de député wallon. Je pense bien que je vais refuser.

Son double : T’es dingue ! Pourquoi ? C’est une chance en or de faire bouger les choses. 

Charles : C’est sûr. Et en plus, je suis un fan de politique. On dit souvent qu’il faut changer le monde en se changeant soi-même. C’est vrai, mais on ne fera rien sans s’emparer du pouvoir politique. Cette petite musique du « tous les mêmes », c’est du bullshit. Tous les riches et les puissants ont intérêt à ce qu’on tienne ce genre de discours. Faut se battre contre cette idée. Pour moi, on ne vend pas son âme au diable quand on vote pour quelqu’un, on se donne des armes pour changer le monde. 

Son double : Ben alors. Pourquoi t’accepterais pas ? 

Charles : Je veux garder ma liberté et ne pas être trop connu. Peut-être que je le ferai plus tard, si on me le repropose un jour… C’est un des nombreux trucs que je voudrais faire. 

Son double : C’est quoi, les autres ? 

Charles : Bah, j’adore interpréter, chanter, rapper, écrire. Souviens-toi : pour entrer au Conservatoire de Liège, j’avais chanté du Freddie Mercury a cappella

Son double : Ouais, c’est radicalement différent, là. 

Charles : Bref, pour l’instant, je reste dans le théâtre documentaire et militant car c’est là que j’ai un impact fort sur la société. Ça dépasse ma petite envie perso de briller. Alors oui, faut s’écouter pour être heureux, mais faut aussi se mettre au service de la collectivité, je pense. Mon frère est dans les champs, moi dans le plaidoyer : faut les deux pour que ça marche. J’oublie pas d’où je viens, même si je vis aujourd’hui en ville et que je fais un boulot principalement de citadin.

Son double : Les parents se sont décarcassés pour que tu fasses des études, tu leur dois énormément. 

Charles : C’est clair que si j’avais dû cumuler des jobs étudiants pour payer mon minerval et mon kot, j’en serais sans doute pas là… On est quand même clairement déterminés par la classe sociale de ses parents.

Scène 3

Charles est au milieu des 200 brebis de ses parents, Danièle et André. Les animaux broutent tranquillement et nonchalamment sur les verts pâturages entourant la Bergerie de l’Isbelle. Après un silence méditatif, il commence à entonner, de sa voix la plus forte et la plus joyeuse :

« Du fond de ma cité HLM

Jusque dans ta campagne profonde
Notre réalité est la même
Et partout la révolte gronde
Dans ce monde, on n’avait pas notre place
On n’avait pas la gueule de l’emploi
On n’est pas né dans un palace
On n’avait pas la CB à papa

SDF, chômeur, ouvrier
Paysans, immigrés, sans-papiers
Ils ont voulu nous diviser
Faut dire qu’ils y sont arrivés
Tant que c’était chacun pour sa gueule
Leur système pouvait prospérer
Mais fallait bien qu’un jour on se réveille

Et qu’les têtes se remettent à tomber

On lâche rien, on lâche rien
On lâche rien, on lâche rien
On lâche rien (wallou)
On lâche rien (wallou)
On lâche rien, on lâche rien

Ils nous parlaient d’égalité
Et comme des cons, on les a crus
Démocratie, fais-moi marrer
Si c’était le cas, on l’aurait su
Que pèse notre bulletin de vote
Face à la loi du marché
C’est con, mes chers compatriotes 

Mais on s’est bien fait baiser

Que pèsent les droits de l’homme 

Face à la vente d’un Airbus

Au fond, y a qu’une règle en somme
Se vendre plus pour vendre plus
La République se prostitue 

Sur le trottoir des dictateurs
Leurs belles paroles, on n’y croit plus
Nos dirigeants sont des menteurs

C’est tellement con, tellement banal
De parler d’paix, d’fraternité

Quand des SDF crèvent sur la dalle
Et qu’on mène la chasse aux sans-papiers
Qu’on jette des miettes aux prolétaires
Juste histoire de les calmer
Qu’ils s’en prennent pas aux patrons millionnaires
Trop précieux pour notre société

C’est fou comme ils sont protégés 

Tous nos riches et nos puissants
Y a pas à dire, ça peut aider
D’être l’ami du Président

Chers camarades, chers électeurs
Chers citoyens consommateurs
Le réveil a sonné, il est l’heure
D’remettre à zéro les compteurs

Tant qu’y a d’la lutte, y a d’l’espoir
Tant qu’y a d’la vie, y a du combat

Tant qu’on se bat, c’est qu’on est debout
Tant qu’on est debout, on lâchera pas
La rage de vaincre coule dans nos veines
Maintenant tu sais pourquoi on s’bat
Notre idéal, bien plus qu’un rêve
Un autre monde, on n’a pas l’choix.
 »[2]


[1] Non-issus du monde agricole, ndlr

[2] Paroles de la chanson « On lâche rien » d’HK & Les Saltimbanks.

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