Noël
Chez Delhaize, on vend des fruits frais qui ne proviennent pas de "chez nous" contrairement à ce que raconte la chaîne.

Joyeux Noël et bonne année (local et de saison) !

Vous avez déjà fait le compte du nombre de pubs qui nous racontent des bobards, spécialement dans la grande distribution ? Chaque mois, carte blanche à Pierre Ozer, chargé de recherches à l’ Université de Liège. Un regard iconoclaste et caustique sur les différences entre les annonces des folders et la réalité des rayons. Les intertitres sont de la rédaction. Joyeux Noël et bonne année !

Carte Blanche | Pierre Ozer, chargé de recherche à ULiège | pozer@uliege.be

C’est devenu un peu mon marronnier… Depuis 2006 (*), chaque année à la veille des fêtes, il me plait de scruter ce qui est proposé dans les folders de nos supermarchés pour – cette année – avoir « des fêtes pour chacun, des prix pour tous » (Carrefour), pouvoir « profiter ensemble, c’est le plus beau des cadeaux » (Delhaize), passer « à nouveau de bons moments » et, alternativement, « de belles fêtes » (Colruyt), « se régaler (trinquerensemble, fêter ensemble » (Lidl) ou encore profiter de « fêtes, chics et pas chères » (Aldi, avec « Gaspar le chicon »).

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Donc, pour les fêtes de fin d’année, il faut marquer le coup ! Avoir absolument les délicieux aliments que – jamais – vous n’aurez dans votre assiette le reste de l’année… Comme des fruits exotiques, là aussi une ritournelle.

Delhaize (renommé à l’occasion BELhaize car « Delhaize a toujours mis l’accent sur l’origine belge de son assortiment ») – dans son « Guide des fêtes » (Fig. 1) – vous offre ainsi ses fruits frais qui, pour rester de saison, sont ainsi qualifiés : « Les fruits exotiques sont en pleine saison au moment des fêtes de fin d’année. C’est le moment idéal pour en profiter, découvrir des goûts inconnus et apporter un vent d’exotisme à votre repas ». Tout cela sous le macaron « Prix de fête » dont le folder ne renseigne ni le prix ni l’origine des produits proposés pour « profiter ensemble ».

Notons au passage que le site internet de Delhaize ne s’encombre pas de spécifier l’origine de ces produits. En réalité, il faut se rendre dans le supermarché pour avoir des informations sur ces aliments qui sont tous rassemblés sous le slogan « La nature s’invite chez vous » (rien que cela).

Chez Delhaize, la nature s’invite chez vous. Rien que ça !

Ainsi, les kumquats (ces « mini-fruits » qui offrent un « maxi-goût ») proviennent d’Israël, les pitahayas rouges (dragon fruit) viennent directement du Vietnam, les caramboles sont de Malaisie, les papayes géantes sont du Brésil, les poires Nashi de Chine, la mangue « prête à manger » (et oui, elle est conditionnée ‘prédécoupée’ ; on conseillera d’ailleurs au client distrait qui est pourtant d’habitude très regardant au prix des choses de sélectionner le découpage ‘en dés’ qui est 13% moins cher que le découpage ‘en sticks’) est brésilienne, et les grenades en grains (là aussi « prêtes à manger ») sont colombiennes. Quant aux granadillas, il n’est pas indiqué l’origine…

Une fois la question posée au personnel du Delhaize liégeois, personne ne sait et personne ne s’en préoccupe vraiment. Un employé pense que cela pourrait venir d’un pays tropical, peut-être d’Amérique du Sud.

Toujours est-il que cela en fait des kilomètres par avion, comme l’atteste le carton de figues fraiches du Brésil… Mais comme ces fruits sont « en pleine saison au moment des fêtes », pourquoi ne pas en profiter ? Bien sûr, on peut trouver des fruits moins lointains comme le mix « ananas kiwi raisin » qui est originaire du Royaume Uni (Fig. 4). Supercherie ? On laissera le bénéfice du doute à Delhaize qui pourra ainsi nous inviter dans les plantations des petits producteurs locaux d’ananas, de kiwis et de raisins d’Outre-Manche en décembre…

Chez Carrefour, une mise en scène parfaite

Chez Carrefour, rien de neuf. Comme chaque année depuis au moins quinze ans, une page pleine du folder des fêtes est également consacrée aux fruits exotiques entourés d’étoiles et boules de Noël (Fig. 5). La mise en scène est parfaite. Les fruits sont rassemblés dans un récipient et deux verres festifs rappellent « des fêtes pour chacun, des prix pour tous ». Le tout est en promotion (-10%, mais par rapport à quoi ?). Pourquoi se priver d’une telle opportunité ?

Là, les prix sont indiqués mais pas les origines. Comme chez son concurrent, il faut se rendre au supermarché pour savoir comment on va voyager en prenant des vitamines pour résister à l’hiver rude qui nous attend. Dans l’ordre, l’ananas Dole (qui n’a pas toujours été reconnu pour être à la pointe du respect des travailleurs ni de l’environnement) vient du Costa Rica, la poire Nashi est chinoise, il en va de même pour le gingembre bio, les noix de coco proviennent de Côte d’Ivoire, la papaye est brésilienne, la provenance de la pomme grenade n’est pas renseignée, les limes sont mexicains, les caramboles colombiennes et les pitahayas rouges sont vietnamiennes. Là aussi, cela en fait, des continents lointains.

Si Carrefour nous invite à ses « journées circuit court », avec les leitmotivs « respect des saisons », « petites exploitations à moins de 40 km », et « prix juste ! », on ne retrouve essentiellement dans ses rayons que des bières (Fig. 7) et autres produits transformés (confitures, sirop, etc.).

Pour les produits frais, c’est une autre histoire… Alors que Carrefour déclare proposer 95% de produits frais (fruits et légumes) de saison, on est stupéfait par son assortiment « frais » pour les fêtes.

Ainsi, son étalage propose des radis et des concombres hollandais, du radicchio italien, des asperges (blanches et vertes) péruviennes, du chou-fleur, chou rouge, chou vert, chou romanesco, poireau, carottes et navets français, des haricots tanzaniens et éthiopiens, et du maïs kényan. Les seuls légumes belges sont les chicons et – en décembre – des tomates appelées  » Miss Perfect Délice (grown to perfection) » – dont Tchak! a récemment souligné toutes les vertus

Donnez-nous, donnez-nous, des patates

Le même scénario se répète à la stencileuse dans les autres enseignes concurrentes. 

Alors, pour ne pas gâcher les fêtes « durables », on pourrait se faire la promesse d’accompagner notre viande exotique de patates bien belges, elles. Donc, l’origine des pommes de terre a été relevée dans les trois principaux distributeurs du pays. Et le résultat n’est pas toujours au rendez-vous de ce qui est clamé à longueur de publicités…

Ainsi, chez BELhaize, les pommes de terre bio sont toutes ‘non belges’ (françaises et allemandes); celles en vrac sont françaises et les conventionnelles sont au nombre de 14 variétés : 8 belges et 6 autres européennes. Alors que BELhaize soutient que « Pas moins de 70% de l’assortiment d’un magasin Delhaize est d’origine belge », moins de la moitié des patates est belge… Un comble au pays de la patate ! Notons aussi que l’origine des pommes de terre n’est aucunement renseignée sur le site internet du distributeur.

Chez Colruyt, sur 12 variétés conventionnelles, seules cinq patates sont belges. Les autres sont anglaises, allemandes, françaises ou hollandaises. Des deux bio, l’une est belge et l’autre est allemande. Quant au vrac, il est impossible de le savoir, même en posant la question. Ici aussi, donc, l’origine belge ne représente pas la moitié de l’assortiment et ici aussi, il est malaisé de connaitre l’origine des produits sur base du site internet qui soit reste muet, soit indique de regarder l’emballage, soit renseigne plusieurs origines (par exemple, les minigrenailles viennent de « Royaume-Uni, Belgique, France »).

Quant à Carrefour, malgré le fait que de nombreux rayons étaient vides (Fig. 9), la totalité de son assortiment était d’origine belge à l’exception des pommes de terre en vrac qui sont espagnoles. Notons que tout l’assortiment de pommes de terre est ‘indisponible’ sur le site de l’enseigne.

L’esprit de Noël, le vrai

On ne le dira jamais assez mais de plus en plus d’alternatives voient le jour ci et là. Des alternatives qui ne vous proposeront pas des tomates belges toute l’année, des framboises toute l’année, des asperges toute l’année ou des pommes de terre qui viennent maintenant de Grande-Bretagne et dans les prochains mois du bassin méditerranéen.

Des alternatives qui respectent les mangeurs, les producteurs et – plus largement – le vivant. Des alternatives qui réduisent les transports de marchandises aux distances les plus courtes et dont le modèle ne repose pas sur le transport aérien intercontinental rapide et ultrapolluant. Des alternatives à ce modèle ultradominant des multinationales qui fait en sorte que les émissions de gaz à effet de serre et tant d’autres externalités négatives (notamment sanitaires) s’accroissent chaque année.

Des alternatives – finalement – au scan dépersonnalisé de vos propres produits à la caisse ; car oui, vous travaillez maintenant pour le supermarché. Des alternatives qui sont ancrées dans votre territoire et qui créent du lien.

Créer du lien, consolider des liens, n’est-ce pas cela, l’esprit de Noël ?

Joyeuses fêtes !


[*] Ozer P. & Perrin D., 2007. Noël en famille ou 15 litres de pétrole. La Libre Belgique, 30 janvier 2007, p. 20. https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/17504/1/Noel%20en%20famille%20ou%2015%20litres%20de%20p%c3%a9trole….pdf

[*] Ozer P., 2013. Le coût CO2 du réveillon de Noël : au Carrefour des choix. Marianne Edition belge, 14 décembre 2013, pp. 44-45. https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/159845/2/2013-12-14%20R%c3%a9veillon%20CO2%20Carrefour.pdf