Carrefour, champion du local et du circuit court sur le frais. C’est ainsi que la multinationale cotée en bourse s’affiche en 20 mètre carrés depuis plusieurs semaines ou dans des publireportages diffusés sur les sites d’infos mainstream.
Yves Raisiere, journaliste | yrai@tchak.be
On a demandé à Pierre Ozer, chargé de recherches (ULiège), son point de vue sur cette campagne de com’ de Carrefour. Pourquoi lui ? Au printemps, l’expert a signé La vérité sur le made in Belgium de l’e-commerce alimentaire, une étude soulignant comment les géants de la grande distribution enfreignent la législation les obligeant à déclarer l’origine de leurs produits (fruits, légumes et viande).
Ni une ni deux : cette fois, suite à notre demande, Pierre Ozer a sauté dans sa voiture, direction l’hypermarché Carrefour d’Arlon. C’était le 18 octobre dernier. Quelques jours plus tard, un mail tombait dans notre boîte.
40 km maximum ? pas vraiment le cas
Premier constat de cette descente sur le terrain : dans sa campagne, Carrefour se targue de travailler « avec des petites exploitations agricoles situées à environ 40 km d’un magasin de référence». À Arlon, ce n’est pas vraiment le cas.
« Lors de mon passage, la viande de bœuf signalée comme locale ne pouvait pas rentrer pas dans cette catégorie, pointe Pierre Ozer. En effet, elle provenait de la Société Cornü, située à 6900 Marloie – rue de la Zootechnie 2, cela ne s’invente pas – c’est-à-dire à 83 km par la N4 et à peine moins à vol d’oiseau de l’hypermarché Carrefour d’Arlon. »
Ce décryptage est en accès libre. Si vous le trouvez intéressant, n’oubliez pas : une info de qualité, c’est comme un produit local : elle a un prix juste. Raison pour laquelle on vous propose un petit détour par notre boutique en ligne. Vous pourrez y découvrir nos points de vente. Vous pourrez aussi vous y abonner. Une façon de soutenir Tchak et de nous aider à relever notre défi 2021. Il est encore temps 😉.
C’est quoi, ces deux labels?
Le point le plus significatif de cette balade au rayon viande concerne la comparaison des prix du boeuf sur trois types de produits – le contrefilet, les carbonnades et les hamburgers, et deux « labels » – le Prix Juste Producteurs et la Filière Qualité Carrefour (voir notre infographie). Mais d’abord quelques précisions sur ces deux appellations :
- Filière Qualité Carrefour : selon la chaîne, elle certifie des produits au goût authentique et à la qualité certifiée; une juste rémunération pour les producteurs; des modes de production durables; le respect des animaux. Comment sont fixés les prix? En partenariat « avec des agriculteurs exigeants et passionnés », assure Carrefour.
- Prix Juste Producteurs: ce label – géré par les services du Collège des producteurs – permet aux consommateurs d’identifier des produits « qui offrent une rémunération équitable aux producteurs. Il peut être apposé sur certains produits moyennant certaines conditions, comme le respect d’une charte, la garantie de l’origine locale ou encore la traçabilité des matières premières ».
« Difficile pour les producteurs locaux de rivaliser avec la filière de Carrefour »
L’analyse des prix affichés entre ces deux labels révèle donc un élément intéressant. « Il apparait que, pour les produits visés, les prix de la viande de boeuf provenant de la Filière Qualité Carrefour sont, en moyenne, 33,2% plus bas que ceux du label Prix Juste Producteur, observe Pierre Ozer. Il est donc probablement difficile pour le producteur dit local de rivaliser avec la filière Qualité Carrefour.»
Pareil différentiel de prix fait d’autant plus pencher la balance en faveur de la viande issue de la Filière Qualité Carrefour que celle-ci affiche des valeurs identiques au label Prix Juste Producteur. Trop beau pour être vrai ? Pierre Ozer n’est pas loin de le penser.
« Si la viande de la Filière Qualité Carrefour est d’une qualité équivalente à celle du label Prix Juste Producteur, comment l’enseigne peut-elle justifier une telle différence de prix, sinon par le… non-respect du travail des éleveurs – notamment via le prix qui serait injuste – ou du bien-être animal, ou encore en favorisant un mode de production intensif peu respectueux de l’environnement (ou un mix de ces trois raisons) », analyse l’expert.
Contrefilet irlandais: un concurrent encore moins cher
Notons encore que du contrefilet de boeuf irlandais était également en vente dans le rayon ce jour-là, à 18,75 euros / Kg. Soit un prix encore plus bas que celui du label Prix Juste Producteurs et de la Filière Qualité Carrefour. « Ce qui est le meilleur moyen pour mettre les éleveurs d’ici et d’ailleurs en concurrence et, plus spécifiquement, de rendre la vie encore plus difficile aux éleveurs locaux, justement», avance Pierre Ozer.
Éleveurs wallons : la preuve par le salaire
Concluons sur ce chiffre qui souligne le greenwashing éhonté de l’industrie agro-alimentaire et de la grande distribution sur la soi-disant juste rétribution qu’elles concèdent aux éleveurs wallons. Il y a tout juste un an, dans une enquête consacrée à l‘évolution des troupeaux bovins wallons, Catherine Joie, journaliste, expliquait aux lecteurs de Tchak que ces éleveurs Wallons gagnaient en moyenne… 18 000 euros par an. « Ce revenu est le plus bas du secteur agricole, bien en dessous des exploitations de grandes cultures (30.406 €/an) et , dans une moindre mesure, des exploitations laitières (22.412 €/an) », expliquait-elle (sources CRA-W 2019).
Accentuer nos décryptages
Depuis son lancement, Tchak décrypte les campagnes de com’ des grands conglomérats agro-industriels, des multinationales de l’agro-alimentaire et de la grande distribution. En fil conducteur, la volonté de montrer comment elles travestissent les valeurs de l’agro-écologie et du circuit cours à des fins purement financières. Un éco-blanchiment qui n’a pas de limites au vu des centaines de millions d’euros investis chaque année dans leur communication.
Voici, pour exemple, quelques dossiers déjà publiés dans différentes sections de la revue :
- Den Berk Délice, les tomates qui font mal
- Belhaize, le piège à éviter
- Aldi, sa tactique pour vous attraper
- HelloFresh et ses différences entre vitrine et arrière-boutique
- Deutsche Bank et agroécologie, c’est juste une illusion
- Danone, la communication d’abord
- Prix cassés en supermarchés : comment Intermarché vous dupe
- Le monde pas si délicieux de Mondelez
Cet axe éditorial, nous voulons le renforcer à travers un rendez-vous mensuel « coup de poing » sur notre site et nos réseaux, en collaboration avec Pierre Ozer. Premier rendez-vous aujourd’hui.
A partir du printemps 2022, dans chaque numéro de Tchak, toujours avec Pierre Ozer, vous pourrez lire un décryptage sur la stratégie de communication de ces grands groupes du secteur agro-alimentaire.
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