Comment ? On s’en prend souvent à Carrefour ? Oui, vous avez raison, mais l’enseigne brasse tellement d’air avec sa campagne Act for food qu’elle est incontournable. Son fil rouge ? Communiquer un max sur les (très petits) efforts réalisés par certaines marques en matière de durabilité, qu’importe les responsabilités de leur maison-mère dans la crise environnementale.
Humeur | Yves Raisiere, journaliste
Exemple : en octobre dernier, le groupe Carrefour a invité tous ses clients européens à élire les « fournisseurs les plus vertueux de l’enseigne en matière de transition alimentaire ». Une première édition dont les lauréats ont été récompensés début décembre ; leurs produits seront mis en avant sur les sites de vente en ligne et dans les magasins durant un an.
Trois gagnants parmi d’autres : Special K, de Kellogg’s, pour sa réduction d’emballages ; Frites et Traditions, de McCain, pour son ancrage local et ses patates issues d’une agriculture raisonnée ; et enfin le lait bio écrémé de Lactel, pour son « engagement envers la préservation de la biodiversité, une meilleure rémunération des éleveurs et le bien-être animal ».
« Grâce à ce concours européen, Carrefour mobilise ses partenaires dans sa mission de transition alimentaire pour tous », s’est enorgueilli l’enseigne dans son communiqué de presse annonçant le résultat. Un texte jonglant avec les mots et expressions « sains », « durables », « neutralité carbone », « lutte contre la déforestation », « gaspillage alimentaire », etc.
Kellog’s, McCain, Lactel… N’importe quoi !
La réalité est vachement moins sexy. Commençons par Kellogg’s. En achetant vos céréales chez ce géant mondial, savez-vous que vous encouragez indirectement la destruction de la forêt amazonienne et la violation des droits des indigènes ?
Explication : parmi les actionnaires de cette multinationale cotée en bourse, on trouve Vanguard et Blackrock. Selon plusieurs ONG [1], ces grands groupes financiers investissent massivement dans des compagnies d’extraction minière, d’énergie ou d’agro-négoce complices de déforestation. Chouette conception de la transition, non ?
Même scénario avec McCain, soi-disant engagé dans une agriculture raisonnée. La bonne blague ! Le marché de la frite surgelée est en plein boum, gros impacts à la clé : accaparement de la surface agricole utile – et des aides européennes qui vont de pair – par des exploitations de plus en plus grandes ; développement de monocultures industrielles imposant labours profonds et pesticides ; ou encore la destruction de filières locales à l’autre bout de la planète, puisque la majeure partie de la production est destinée à l’exportation. Superbe conception de l’agriculture raisonnée !
Lactel enfin, et son lait bio écrémé. Pfff… N’importe quoi ! Cette marque appartient à Lactalis, multinationale laitière européenne qui déverse en Afrique de l’Ouest des dizaines de milliers de tonnes de poudre de lait excédentaire, sabotant ainsi les filières locales naissantes. Pire encore : vidée de sa matière grasse (réservée aux marchés occidentaux), cette poudre est ré-engraissée à… l’huile de palme, aux dépens de la santé des forêts et de la population locale. Extraordinaire, non, cette façon de préserver la biodiversité et la rémunération des éleveurs !
Le mensonge prend l’ascenseur, la vérité l’escalier, dit justement un proverbe africain… Ne l’oubliez pas la prochaine fois que vous entendrez Carrefour s’autoproclamer champion de la durabilité.
Nos décryptages conso et com’
Depuis son lancement, Tchak décrypte les campagnes de com’ des grands conglomérats agro-industriels, des multinationales de l’agro-alimentaire et de la grande distribution. En fil conducteur, la volonté de montrer comment elles travestissent les valeurs de l’agro-écologie et du circuit cours à des fins purement financières. Un éco-blanchiment qui n’a pas de limites au vu des centaines de millions d’euros investis chaque année dans leur communication.Voici, pour exemple, quelques dossiers déjà publiés sous forme d’enquête, de décryptage, de carte blanche ou de regard :
- Den Berk Délice, les tomates qui font mal
- Belhaize, le piège à éviter
- Aldi, sa tactique pour vous attraper
- HelloFresh et ses différences entre vitrine et arrière-boutique
- Deutsche Bank et agroécologie, c’est juste une illusion
- Danone, la communication d’abord
- Prix cassés en supermarchés : comment Intermarché vous dupe
- Le monde pas si délicieux de Mondelez
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